TEXTES DIVERS


RAPHAËL BOCCANFUSO
soirée Synapse

lundi 21 janvier 2008/18h30
École supérieure d'arts de Rueil-Malmaison
Synapse - Atelier de post-production multimédia



Tendre de Noir.

Cher Stéphane Pichard,

Merci encore pour votre invitation à venir travailler dans le cadre de la résidence Synapse. C'est avec plaisir que durant un mois j'occuperai le logement mis à ma disposition et que je pourrai profiter, de jour comme de nuit, des locaux et des moyens techniques de l'École supérieure d'arts.

Il est communément admis que l'artiste est à contre-courant, ou bien est là où on ne l'attend pas, en terme "footballistique" on dirait qu'il pratique la tactique du contre-pied. De même que l'expression un flou artistique, cela ne correspond à rien et est issu d'une pensée prémâchée prise dans le cadre étroit du langage. Les artistes, à travers leurs œuvres, quand ils ne sont pas trop émoussés par la Carrière, sont bien affilés, tranchants, pointus et nets. Un riff saignant de Bo Diddley, une ligne de Maïakovski qui te perce le tympan, un coup de pinceau de Courbet qui fend la toile : c'est bien que le flou est ailleurs, de ton côté, celui du spectateur. Ajuste donc ta focale ! Fais la mise au point ou change tes verres de contact ! Flou artistique : mon œil !

Je serai moi aussi là où l'on ne m'attend pas, prêt à décaler le lieu de production et à m'attacher à l'espace de vie (l'appartement) plutôt qu'à l'espace de travail (l'atelier). Je fréquenterai donc peu le studio de postproduction dédié au montage vidéo et son, ainsi qu'à Internet et à toutes les hybridations générées par ordinateur. Je vais me munir d'un simple clou et gratter mes murs, faire les plus élémentaires des dessins dans ma chambre à coucher. Me tenir à l'écart du monde et teindre ma chambre, la tendre de noir, pareille à celle de Louise de Lorraine, cloîtrée sous les toits du château de Chenonceau.
Je ferai officiellement don à la Ville, propriétaire du lieu, de cette décoration murale. Cela implique que les résidents qui me succéderont devront vivre dans mes murs. Bien sûr, la municipalité peut refuser ce don. Au pied du mur, à elle de faire un choix.

Cellule, caveau, cachette, cachot froid ! Viens donc voir, cher Stéphane, dès 18h30 le jour de la lune, ce que les cicatrices de mes murs ont à te dire.
Je t'attends, déjà.

Raphaël Boccanfuso
11 novembre 2007


Les dessins réalisés à l'occasion de la résidence Synapse de Raphaël Boccanfuso seront mis en ligne sur : www.earueil.com/raphael_boccanfuso dès le 14 janvier 2008.
Vous pourrez les télécharger librement pour votre usage.

 
  




A Victoire Dubruel, Directrice de l’Ecole supérieure d’arts de Rueil-Malmaison


Chère Victoire Dubruel,



Je tiens à vous faire part de ma proposition de don à l'Ecole supérieure d'arts de Rueil-Malmaison et, par extension, à la municipalité dont elle dépend. Durant mon séjour en résidence, j'ai réalisé une décoration murale dans la chambre à coucher au sein de l'Ecole d'arts. Je souhaite céder l'installation de cette oeuvre avec l’autorisation de la conserver aussi longtemps que vous voudrez, sans esprit procédurier et sans engagement de votre part à ce qu'elle soit maintenue en l'état. Je fais confiance, sur ce point, à votre attachement et au respect naturellement dû à la création et aux travaux in-situ des artistes. Ce don prolonge et finalise mon projet réalisé durant la résidence. Je mets également, sur votre site Internet, à disposition des internautes l'ensemble des dessins constitutifs de cette oeuvre (libres de droits).
A l'heure de la revendication tout azimut du droit à la propriété intellectuelle, il me semble juste de signaler que les œuvres sont faites pour être vues, lues ou écoutées librement. D’autre part, il m’a paru opportun de travailler sur le contexte d’une résidence plutôt que de réellement mettre à profit les moyens techniques qui m’étaient offerts. J’ai privilégié le lieu de vie car j’ai pris le parti de considérer la résidence comme un lieu dans lequel les artistes se succèdent. Nous avons un espace commun mais néanmoins privé, que nous investissons chacun dans des temps différents : la chambre. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de m’approprier cet espace, de le marquer de ma présence, de mon passage. Cette pratique qui consiste à couvrir de graffitis les lieux intimes, à faire des murs l’extension de son propre corps, est récurrente dans tous les lieux de réclusion. Les messages laissés sur place s’adressent à un autre, inconnu, qui sera placé dans les mêmes conditions, dans le même espace, mais dans un autre temps. Ce type de communication produit une réception différée. En investissant la chambre à coucher, cet espace perd son caractère exclusivement privé et devient potentiellement un espace public.

Comptant sur nos considérations communes quant à la création et ses enjeux réels, je vous prie, chère Victoire Dubruel, d'accepter mes salutations respectueuses.

Raphaël Boccanfuso, le 9 janvier 2008
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© Raphaël Boccanfuso 2009