ENTRETIENS


 
Questionnaire accompagnant la thèse de doctorat de Martial Deflacieux,
La place du texte dans les expositions d'art contemporain en France et son impact sur le processus artistique (Au tournant du XXI°siècle)    
Juillet 2019


Le texte est-il important dans votre pratique artistique, si oui depuis combien de temps (on appelle ici texte toute production écrite qui met la langue en œuvre) ?


"
La langue en œuvre" comme tu dis, c’est bien cela. La langue plutôt que le pied ou le poing; et depuis toujours pour ce qui me concerne ainsi que tous les autres singes, plus ou moins poilus, de notre espèce depuis 300 000 ans, j’imagine. La langue et le cœur ! Les choses n’ont d’existence qu’une fois nommées, sinon comment partager ta peine, ta joie ? On peut toujours te mettre des grandes claques dans le dos mais c’est un peu court, sans nuance et pauvre en interprétation. La langue n’est-elle pas le premier outil d’investigation et de découverte du monde ? Les nourrissons portent tout à la bouche, du sable aux sucreries, ensuite ils touchent, palpent puis voient et observent et finalement utilisent une loupe. Nous ne percevons pas la réalité du monde, notre cerveau nous trompe, il retourne l’image perçue par nos yeux. La langue pour les mots chuchotés à l’oreille et les timbres à coller sur l’enveloppe.  



Quel(s) usage(s) faites-vous du titre ?


Comme je ne suis pas encore mort, je ne laisse pas le soin aux autres de nommer ce que j’ai fait. Les musées sont remplis d’œuvres dont les titres n’ont pas été donnés par les artistes les ayant réalisées. Avec le 20ème siècle et la modernité, le titre est apparu ; créant parfois un décalage avec l’œuvre, orientant la lecture de celle-ci, brouillant les pistes. Il devient une des composantes de l’œuvre. Hue Dada ! Prenons comme exemple Pain peint de Man Ray, il semblerait que le titre soit l’étincelle qui déclanche le processus. Un soupçon de fascination pour la culture de la vieille Europe. Un objet de consommation détourné (rien à voir avec le Pop Art) et déréalisé par la couleur ; il est bien rare que la nourriture soit bleu, je ne vois que le bonbon Schtroumpf de la marque Haribo. Cela devient un emblème de sa terre d’accueil, nourricière, une œuvre potentiellement comestible et musicale par son titre. La langue n’est pas loin non plus, Man Ray est un artiste de la sensualité. J’accorde une importance toute particulière au titre. Si je nomme une photo sans titre, ce n’est pas pour signifier que l’image se suffit à elle-même, mais bien pour marquer l’impossibilité qu’il y a à nommer le bâtiment photographié, pour de mesquines questions de droit. Mes titres sont bien souvent des emprunts : Poison Ivy, une de mes réalisations, fait référence à une plante sauvage, à un personnage de fiction ainsi qu’à la fascinante guitariste des Cramps imperturbable durant le concert at Napa ; pourtant il s’agit d’un gâteau (contenant une bactérie), il tourne dans son armoire réfrigérée quatre faces vitrées. Le baiser de l’artiste, un verre sérigraphié dont le motif est une trace de rouge à lèvres, est une directe citation et hommage à la performance d’ORLAN.  



Souhaiteriez-vous pouvoir vous passez de commentaire en art ?


No comment.
 



Pour vous en quoi consiste le travail du critique d’art ?

Un engagement pour certains : Baudelaire. Du copinage pour d’autres.
 



Renseignez-vous en école d’art, et si oui, ce travail influence-t-il votre pratique, notamment dans l’usage du texte ?


Non ! Je ne renseigne pas en école d’art, je ne fais pas partie de la CIA, du KGB, ni de la DGSI ou de la DGSE. Et si je m’aperçois qu’on me pique ma gomme, mon crayon, ou mon ruban correcteur, je ne vais pas me plaindre à la maîtresse. Je suis titulaire d’un Capes d’Arts plastiques et je travaille dans un collège trois jours par semaine, je renseigne les enfants sur ce qui se cache derrière les images, dans les sculptures et au-delà des murs des bâtiments, en contrepartie ils me renseignent sur d’autres choses. Parler avec des enfants influence probablement ma façon de m’exprimer. J’étais gêné de faire ce boulot au début, car dans le petit milieu artistique c’est assez mal vu. Être prof, oui, mais en école d’arts. Ca fait bien longtemps que cela ne me pose plus de problème. Avec les enfants, on bosse et on se marre ; pas sûr qu’il ait été possible d’en faire autant avec des adultes.
   



Dans votre pratique, quelle place accordez-vous à la littérature ?


C’est bien maigre, rien de visible en surface. Mon travail qui pourrait sembler être le plus proche de la littérature a consisté à mettre en valeur, au moyen d’un surligneur rose, la totalité du texte (183 pages) d’un roman des éditions Harlequin collection rouge passion dont le titre est Des larmes et des roses. J’ai bien évidemment récupéré ce titre à mon compte. J’ai donc cheminé sur chacune des lignes de ce roman mais je n’ai pas eu le courage de le lire. On est finalement, ici, assez loin de la littérature. Je ne prends pas de notes régulièrement, j’ai des carnets avec des trucs écrits et des gribouillis. Je profite de cet entretien pour en extraire quelques lignes datées de 2015 : "Aujourd’hui, suis passé au sous-sol du BHV Marais, l’immense rayon bricolage. J’y ai acheté un sachet de pointes à placage, deux bottes de longerons bois dur ainsi qu’une baguette d’angle sapin de 13 mm de section. En attendant mon tour à la caisse, j’observe les grands bacs remplis de produits petits prix, achats compulsifs de dernière minute… Entre deux casiers, l’un débordant de mètres à ruban oranges et l’autre de bombes de dégrippant WD40, on tombe sur un énorme tas, plus d’une centaine d’exemplaires d’un même livre, là, bradé : Soumission le dernier roman de Michel Houellebecq."
On est en droit de penser que la littérature, et plus généralement les différents domaines artistiques, sont des outils, des matériaux de construction : construction de soi, construction des instruments d’appréhension du monde, construction d’une relation à autrui… Bon ! Si c’est le cas, pas sûr que le titre de Houellebecq soit le mieux adapté dans un premier temps.    



Pour vous, la médiation de l’art est-elle nécessaire et dans ce cas peut-elle se passer de textes ?


Je ne vois pas comment elle pourrait s’en passer.
 



Que pensez-vous des journaux, dépliants ou autres livrets mis à disposition du public durant vos expositions (quelles soient monographiques ou collectives) ?


Autant qu’il est possible de le faire, j’essaie de prendre le contrôle sur tout ce matériel, quitte à réaliser certaine chose moi-même.
 



Avez-vous le sentiment que le texte a pris une place grandissante dans la pratique artistique en France depuis le début des années deux-mille ?


Si par pratique artistique tu entends réalisation d’œuvre d’art, il me semble que l’on a assisté au grand retour de la peinture et du sujet, c’est très bavard, très narratif, cependant je considère que le texte a été totalement évacué. Une chose est sûre, on est bien loin des années 60 et de l’art conceptuel.
 



Que pensez-vous de la « recherche » en école d’art ? Êtes-vous titulaire d’un DSRA, d’un SaCRE ou toutes autres formes de post-diplôme ?


Voir plus haut.  



Si vous en utilisez, comment abordez-vous la conception de vos portfolios ou votre plateforme Internet ?

J’ai un site Internet, assez complet, que j’alimente quand l’occasion se présente. Cet entretien y trouvera sa place.      
 
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© Raphaël Boccanfuso 2009