| TEXTES DIVERS
| Le travail c’est la Santé
Merde, les v’là ! Coucou la basse- cour ! Clic-Clac, les portières !
Ceux-là : Police nationale! Monsieur ! Qu’est-ce que vous faites ? Vous avez vos papiers ?
Moi : Comme je suis pas trop loin de chez moi et que je circule à pied à travers mon arrondissement de résidence, alors qu’il fait plutôt beau temps, je n’ai pas eu l’impression d’avoir à franchir une frontière et je suis sorti en tenue légère. Non ! Je n’ai pas mes papiers sur moi…
Ceux-là : Vous savez qu’il est obligatoire pour tout individu en circulation sur la voie publique de pouvoir justifier à tout moment de son identité auprès des services de la police nationale.
Moi : Heeuuu !!, non ! Je ne savais pas. Merci pour l’information, mais je n’habite pas trop loin et je ne sors que pour quelques minutes, après je réintègre mon terrier vite fait, promis, d’ailleurs j’ai conservé mes pantoufles.
P’tain y sont vraiment pas beaux ! Elle et lui. C’est l’uniforme qui les abîme comme ça. Á poils y donneraient quoi sur la voie publique, hors de leur bagnole ? Á poil, avec juste les accessoires : la matraque, les menottes, la gazeuse, le flingue et le cure-dents à la ceinture, autour de la taille, top la classe…Adam et Eve du nouveau Paradis. Y’ font des binômes mixtes maintenant ? La parité a du bon. Si y’font des p’tits, j’prends une option pour la garde de ma maison de campagne, c’est sûr !
Ceux-là : Monsieur! Vous nous entendez ? Monsieur !
Moi : Oui, Oui ! Je suis là, avec vous.
Curieux comme la politesse consiste à servir du MONSIEUR à chaque début ou fin de phrase, et ce vouvoiement de mépris qui affiche une distance plutôt que du respect.
Moi : Oui, Oui ! Je t’écoute.
Ceux-là : Nous VOUS respectons, MONSIEUR ! Nous ne VOUS tutoyons pas, MONSIEUR, alors VOUS nous parlez autrement, s’il VOUS plait !
On y est…
Ceux-là : Pour ce manquement au port réglementaire de vos papiers, vous savez que vous pourriez passer un bon moment au poste dans l’attente d’être en mesure de pouvoir justifier de votre identité ? Bon ! Vous faites quoi, là ? Avec cette caméra !
Moi : Il m’arrive de faire des films, il faut vous dire que je suis artiste et que les films de famille me posent certaines difficultés, c’est pourquoi j’adore filmer les murs et plus particulièrement les murs d’enceinte.
Ceux-là : Pardon ?
Moi : Ben, oui ! Je filme le mur sur lequel j’ai fait récemment une modeste intervention. Bon ! Ce mur, en plein Paris, a un certain attrait: plus haut que celui d’une enceinte scolaire, plus haut que celui d’un hôpital, lui-même moins haut que celui d’un asile d’aliénés, il ne peut être que celui d’une maison d’arrêt. Hors, elles sont rares, de nos jours, en plein centre ville, d’où mon intérêt pour cet espace particulier, cette enclave urbaine à deux pas de chez moi… J’en ai fait le tour et le tour, comme une sale ronde. Puis j’ai décidé de m’attaquer au mur, bien gentiment, opération ridicule: on ne creuse pas depuis l’extérieur. Cependant j’ai ôté quelques fragments de pierre, bien réels avec mes outils. Vous connaissez la ronde des prisonniers, une peinture de Vincent Van Gogh d’après une gravure de Gustave Doré, avec ces deux taches blanches comme du correcteur fluide ?
Ceux-là : Quoi ? Non ! Mais vous filmez quoi, avec ça ? Il est totalement interdit d’enregistrer des images autour de la Maison d’Arrêt de la Santé.
Moi : Pourtant, j’en ai fait quatre fois le tour pour m’assurer d’avoir des prises de vue variées et d’une qualité correcte.
Celle-là : NÉGATIF ! Il est totalement interdit de faire des prises de vue de l’enceinte du site.
Moi : Ha ! Bon ! Je ne savais pas, autant pour moi. Je ne pensais pas… Mais maintenant que vous le dites… Vous n’imaginez pas, sérieusement, une évasion depuis l’extérieur vers l’intérieur, non? Et puis ces fragments de mur, je les ai fait insérer dans des cubes de plexiglas de la taille de pavés de rues, comme de précieuses reliques sous cloches.
Celle-là : Quoi ! Qu’est ce que vous nous racontez ? Pavés, rébellions, barricades ! Bon ! Ça suffit ! NÉGATIF, monsieur !
Pourquoi elle garde ses gants celle-là ? Elle va pas s’aventurer, dans l’immédiat, à me pratiquer un toucher rectal, en pleine rue, sur la voie publique ?
Moi : Quoi NÉGATIF ! C’est quoi ce mot ? Nous ne sommes pas dans un film et il conviendrait de s’adresser à moi sur un mode intelligible…
Celle-là : NÉGATIF ! Tout enregistrement d’images du site est interdit, vous devez immédiatement les effacer, monsieur !
Moi : Présentement ? Un autodafé ? Je crame ma bande ? Il s’agit pourtant de mon travail de vidéaste qui, dans le cas présent, consiste à enregistrer les images du mur sur lequel j’ai pratiqué une action… Le travail c’est la Santé, non ?
Celui-là : Oui, Oui ! Ouais ! Vous effacez tout immédiatement !
V’là qu’y se manifeste, lui ! La portion testicouillue du binôme ! J’l’avais oublié ! Mais comment l’oublier, on en croise plein les rues, des poilus ; petite parenthèse pour signaler que le poil est réellement le nerf de la guerre : que ce soit la perruque blonde, le serre-tête de velours noir, le voile sombre ou la bonne barbouze à l’ancienne en véritables poils de bouc, ça puera toujours la mauvaise transpiration sous les postiches.
Moi : Donc, je dois effacer ce que je viens de filmer, si je vous comprends bien ?
Celui-là : Ben, oui ! C’est pas possible de conserver de telles informations, NÉGATIF !
Ce k’est pas possible, c’est de conserver une telle pilosité ! Non ! C’est pas possible, tes poils autour de ta bouche qui se ramifient jusqu’à ton menton pour former une couronne : actuellement on appelle ça " un bouc". Ça évoque immanquablement l’anus d’un berger allemand. Un vieux relent d’anticonformisme à la sauce mal rotée Johnny/biker par une génération qui mélange rébellion et répression.
Moi : je venais juste recueillir les traces du lieu où a été incarcéré Bernard Tapie. Mais bon, j’efface… Tout......................................................................................................... ............................................................................................................... ...............................................................................................................
Raphaël Boccanfuso, janvier 2010 | back
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